Jean et Brigitte Massin, Beethoven. Club du livre
Français, 1955/1960 p. 700.
«L'opus 111 ne comporte que deux mouvements : [cf. aussi l'opus 54, 78
et 90]
- le motif du premier mouvement : Allegro, apparaît dès les cahiers
d'esquisses de 1801-1802. Il était destiné à l'andante
de la Sonate pour piano et violon opus 30 n° 1.
- Le thème du deuxième mouvement : arietta, n'est autre que le
retournement du thème schématisé du premier mouvement,
descendant au lieu de monter. Dès lors que l'arietta était trouvée,
l'architecture de la sonate était donc complète en deux mouvements
seulement.»
André Boucourechliev, Plaquette du disque
Serkin, DGG 1989.
«Composée presque en même temps que op. 110, la Sonate op.111
en ut mineur fut achevée en janvier 1822. Une introduction Maestoso,
triple élan par lequel Beethoven prend possession du clavier, précède
l'Allegro con brio ed appassionato où s'annonce, dans le grâce,
un thème plus lyrique dans le registre médian, avant de traverser
une étape polyphonique et d'embrasser tout le clavier, touchant aux régions
extrêmes. Comme dans l'op. 110, la réponse du rayonnement second
thème ne prendra que quelques instants : comme si Beethoven avait hâte
de revenir au premier, sur lequel il bâtira, une fois de plus, un court
développement, d'une vingtaine de mesure à peine. La reprise,
ici encore, est amplifiée et transformée ; le second thème,
fugace dans la partie initiale, s'épanouira davantage dans un épisode
aux tempi fluctuants, en attendant le retour impérieux du thème
principal et la conclusion merveillesement apaisée.
Lorsque Schindler, le fabulus de Beethoven, lui demanda pourquoi il n'avait
pas écrit de mouvement final dans l'op. 111, le compositeur lui aurait
répondu : « Je n'ai pas eu le temps ». Mais il suffit
d'écouter le second mouvement pour comprendre que cette réponse
ne pouvait être qu'une façon méprisante d'écarter
une aussi grotesque demande. Rien, en effet, n'aurait pu être inscrit
après la fin de l'Arietta : c'est un adieu - 'l'adieu à la sonate',
comme l'a écrit Thomas Mann. En nous-même qui l'écoutons,
quelque chose semble toucher à sa fin, à quoi le silence peut
répondre.
L'Arietta, d'abord, une mélodie d'une admirable sérénité,
et puis un thème qui donnera naissance à une prodigieuse série
de variations, d'essence surtout rythmique. En effet, avec chaque variation,
les durées se démultiplient, et le temps semble se condenser ;
mais alors que dans l'op. 109 (où les rythmes se monnayaient déjà
jusqu'aux plus petites valeurs), les variations sont parfaitement délimitées,
ici leur repérage, pour être possible, devient sans objet. Il faut
suivre leur continuité, leurs métamorphoses progressives, jusqu'au
trille devenu double puis triple, réapparu encore au dessus du bruissement
des valeurs pulvérisées qui tracent un domaine sonore inouï...
Un ultime rappel de la cellule vitale de l'Arietta, une infime transformation
chromatique de sa mélodie, scellent l'adieu et s'ouvrent sur le silence
des profondeurs.»
C. Höweller, Sommets de
la musique. Flammarion/Daphné, 1958.
«Un roulement de basse, doux quoique menaçant, constitue la transition
vers l'Allegreto con brio ed appassionato dont le premier thème [un triolet
de doubles croches et trois noires] a été repris plus tard par
Schubert, dans son lied 'Der Atlas', [du recueil Schwanengesang en août
1828] avec omission de l'attaque de Beethoven, dramatique par ses triolets.»
L. Rebatet, Une histoire de
la musique. R. Laffont, 1969 p. 349
«Mais l'insurpassable chef-d'oeuvre reste l'ariette --quelle ironie
cachée dans ce terme d'opéra-comique --de l'op. 111, le thème
le plus suave, le plus immatériel de la musique, que Beethoven précipite
dans la cataracte des variations, d'où elle revient, encore plus inéfable,
par une coda qui est une transfiguration.»
G. Sacre, La musique de piano.
R. Laffont, 1998, p. 366.
Au sujet des variations de l'Arietta : «Pages extraordinaires à
voir, dans leur calligraphie stellaire. Ce fourmillement de notes et de signes,
arpèges, syncopes d'accords, trémolos, chaînes de trilles,
ne change rien à la singulière impression d'immobilité
que l'on retire de cet étrange assemblage de sons ; musique en instance
autant qu'en devenir, et capable, en existant, d'effacer sa propre durée.»
W. Kempff, Plaquette de l'intégrale stéréo
DG, 1965.
«Lorsque les premières mesures de l'Arietta (Adagio molto semplice
e cantabile) retentissent, il devient manifeste que Beethoven interprète
ici, contrairement à ce qu'il fait dans le final de la Cinquième
Symphonie, le passage du sombre ut mineur au lumineux ut majeur comme un dernier
pas qui mène de ce monde-ci dans l'au-delà. Le changement s'accomplit
en cinq variations, qui équivalent chacune à un pas de plus dans
ces régions que nous ne pouvons que soupçonner. Puis lorsque le
thème enfin accueilli dans l'harmonie des sphères nous guide et
nous éclaire tel une étoile, nous comprenons que Beethoven, dont
l'oreille ne percevait plus aucun son terrestre, a été élu
pour nous 'faire entendre l'inouï'.»
Patrick Szersnovicz, Les dernières sonates
de Beethoven, in Le Monde de la Musique n° 242, avril 2000 p. 40.
«Dans la Sonate op. 111, qui est 'à la fois une confession qui
vient clore les sonates et un prélude au silence' (Alfred Brendel), fugue
et forme sonate se combinent d'une façon presque opposée dans
le 'Maestoso-Allegro' ; on passe sans solution de continuité dans l'Arietta
à cinq variations s'enchaînant sans rupture - chacune représentant
une amplification du thème initial -, où Beethoven, en maître
du temps musical, parvient à suspendre le cours du temps.
Une série de variation procédant par accélération
progressive était monnaie courante depuis le XVIe siècle, mais
aucune oeuvre avant l'Opus 111 n'avait élaboré cette progression
avec autant de soin. Par l'effet du trille, l'articulation rythmique se dissout
complètement. Dans la quatrième variation, le mouvement atteint
une rapidité et une mobilité extrême. La succession de transformation
remet de plus en plus en question le caractère de chaque variation, invitant
l'auditeur à un voyage qui se termine dans une transfiguration 'où
le solide se transforme en fluide, l'existence du temps en éternel intemporel'
(Hans Mersmann).
Cet 'Adagio molto semplice e cantabile', avec ses changements métriques
compliquée, ses écarts extrêmes de registres, aspire à
l'infini, à la spiritualisation. Le compositeur accumule là les
antithèses jusqu'au paradoxe : Sonate et variation, mineur et majeur,
ombre et lumière, action et contemplation, dialectique et métaphysique,
temporalité et éternité. Après presque un quart
d'heure de statisme harmonique frisant la négation de toute espèce
de mouvement, le trille cadentiel et la modulation de mi bémol majeur
sont déchargés de la moindre force dialectique, car c'est justement
là que le mouvement rythmique à grande échelle se trouve
suspendu. Il en résulte une intensité expressive bouleversante.»
«Quand Wagner se fera en 1880 jouer l'opus 111 par Rubinstein il s'écriera: « C'est là toute ma doctrine ! Le premier mouvement est la volonté dans sa douleur et son héroïque désir ; le second est la volonté apaisée, comme l'homme la possédera lorsqu'il sera devenu raisonnable, végétarien!» (Cité par Jean et Brigitte Massin, Beethoven Club du livre Français, 1955/1960 p. 700-701)
Ce numéro d'opus a inspiré une grand respect chez certains compositeurs : «Parvenu au 110 du Catalogue de ses oeuvres, Florent Schmitt passa au 112, « le 111 ayant déjà été utilisé par quelqu'un » (cité par José Bruyr dans son petit Brahms, au Seuil, 1965 coll. «Solfèges» p. 166)
Lire aussi les pages de R. Rolland dans ses «grandes époques créatrices», pages 787 sqq.
A. Boucourechliev, Beethoven, ed. du Seuil. Surtout les pages 75, 81 et 82 consacrées précisément à l'opus 111.
La croustillante plaquette du disque des trois dernières Sonates de Gould, reprise dans Contrepoint à la ligne, (Oeuvres vol II, Fayard, 1985 p. 334 sqq)
Voici deux pages du manuscrit autographe du premier mouvement de la sonate. Ce manuscrit est conservé à Bonn. (Cliquez)
Première page (400 ko)Mesures
87 sqq. (362 ko)
Répertoire a consacré, sur trois numéros consécutifs, une discographie quasi exhaustive de l'oeuvre (n° 135 à 137 de mai à juillet 2000)
Grand absent : Guilels, hélas.
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