La citation suivante de Karel Ancerl est extraite du film de Hans Krut " Qui est Karel Ancerl ? " réalisé pour la télévision tchèque en 1969, et dont quelques trop maigres extraits ont été diffusés sur la chaîne franco-allemande Arte il y a quelques années. Ce texte est donc la transcription des paroles du chef au court d'un interview pour ce document.
« On me demande souvent : « Qu'est-ce que le travail d'un chef d'orchestre ? » On a écrit beaucoup de livre sur ce sujet, beaucoup de littérature. Moi, je me contenterai de dire ceci... Je voudrais dire que chaque chef d'orchestre, chaque artiste-interprète, est un médium. Un médium qui réalise, ou doit réaliser, la vision du compositeur. Pour le faire bien sûr, il lui faut un instrument : un violon ou un piano pour l'instrumentiste, un orchestre pour le chef d'orchestre. Son instrument est beaucoup plus complexe qu'un instrument individuel. L'orchestre est une collectivité. Il est composé de nombreuses individualités.
Le
premier travail du chef d'orchestre, à mon avis, consiste à
souder cette collectivité, de façon à ce que tous ressentent,
tous vivent de la même manière l'oeuvre qu'ils interprètent.
C'est la première étape de la véritable interprétation.
De même que pour l'instrumentiste, la qualité de son instrument
importe beaucoup, le travail du chef dépend de la qualité de
l'orchestre.
A ce propos, il est utile de se rappeler la différence qui existe entre les orchestres de jadis et ceux d'aujourd'hui. Aujourd'hui dans les orchestres de haut niveau, on exige une perfection technique totale de chaque instrumentiste. Les générations précédentes n'ont pas eu cette chance. Les chefs d'orchestre formaient leurs musiciens.
Je me souviens d'une petite histoire que j'ai vécu avec Talich. Quelques années avant sa mort, il était revenu à la Philharmonie tchèque pour diriger des concerts. Il avait invité notre premier cor, Monsieur Stefek, à jouer un passage d'une manière bien précise. Talich lui a chanté ce passage. Stefek a pris son instrument et l'a joué sur le champ, comme Talich le désirait. Talich abandonna la répétition et vint me voir en larmes. Il me dit : « Je n'ai plus rien à leur expliquer. Ils jouent comme je l'imagine avant même que je dise comment je l'imagine ! »
Je veux dire par là que la technique orchestrale a énormément
évolué. De nos jours, le niveau des musiciens de l'orchestre
facilite la tâche du chef. Il est sûr que les performances d'un
bon orchestre se répercutent sur les exigences du chef. Bien sûr
les exigences de chaque chef d'orchestre envers la collectivité de
cessent d'augmenter. C'est seulement ainsi que l'on peut atteindre, aujourd'hui,
des performances extraordinaires dans un orchestre moyen. Celui-là
même qui, jadis, représentait le sommet de l'art de l'interprétation.
Bien sûr, la personnalité du chef d'orchestre influence le style
et l'interprétation. J'ai parlé avec un membre du célèbre
orchestre de Boston. Je l'ai interrogé sur divers chefs d'orchestre
comme Koussevitsky, Munch... Il me dit : « Sous
Koussevitsky, nous jouions comme un orchestre russe et Munch nous a transformés
en un orchestre français. » Je veux juste souligner l'importance
de la personnalité du chef d'orchestre : elle peut et doit avoir une
influence telle qu'elle amène toute cette collectivité à
une manière de jouer très précise. Cela exige une très
longue série de répétitions et une longue expérience
commune. Si je dirige la Philharmonie tchèque,
je n'ai pas besoin de leur expliquer longuement ce que je souhaite obtenir,
car nous nous connaissons depuis 18 ans. » (Karel Ancerl)