« Il me semble essentiel que les jeunes artistes luttent dès le début contre la vanité, qui rend impossible tout développement et qui est la cause du naufrage de tant de merveilleux artistes. » Claudio Arrau
« J'écoutais ma mère donner des leçons, je l'entendais jouer. C'est ainsi que j'ai fait mon éducation. J'ai su mes notes avant mes lettres et j'ai toujours mémorisé la musique en la lisant, jamais en l'écoutant. Mon seul désir était de jouer du piano » Claudio Arrau.
Claudio Arrau est né en 1903 au Chili. Enfant prodige, il cherche à Berlin à l'âge de huit ans l'enseignement dont il a besoin grace a une bourse.
Il devient l'élève d'un disciple de Franz Liszt, Martin Krauze de 1913 à la mort de celui-ci en 1918. Krauze fut aussi le maître de Edwin Fischer et la moins populaire Rosita Renard, compatriote chilienne de Claudio. Après 1918, Arrau ne reprendra plus jamais de leçons.
« Par Martin Krause qui fut mon seul maître, lui-même élève de Liszt, je remonte directement à Czerny et par lui à Beethoven. Et bien entendu Krause enseignait à ses élèves l'infini variété des signatures de Liszt, toujours si caractéristiques, ces arpèges et ses petites notes, et ses trilles éminemment, dont on a cru lontemps et superficiellement qu'ils ne sont que des ornements, des embellissements, des coquetteries enfin, alors qu'il ont très constamment une fonction expressive. [...] Krause ne nous montrait pas dans le trille lisztien un accessoire du discours, mais le discours même, avec toutes ses fonctions, qui sont sont autant de nuances. » (Claudio Arrau).
Arrau et son maître Martin Krause
Arrau sera fidèle à sa formation qui au point de vue technique, est fondée sur le poids du corps et du bras, évitant toute crispation qui briserait la transmission vers les doigts de la sensibilité émotionnelle.
A peine âgé de vingt ans, il fait ses débuts aux Etats-Unis, à Boston, sous la direction de Pierre Monteux. Puis, revenu en Allemagne, il donne l'intégrale du Clavier Bien Tempéré en concert. En 1925 il est nommé professeur au conservatoire Stern de Berlin. En 1927 il obtient le Prix de Genève (dans le jury rien moins que Alfred Cortot et A. Rubinstein...). Sa réputation de Lisztien - en 1919 et 1920, il avait remporté deux Prix Liszt - lui vaut d'incarner le compositeur dans un film mexicain en 1935 (S. Richter tint le même rôle quelques années plus tard...). Mais malgré cette image de virtuose, Arrau refusera toujours de finir ses récitals par des bis...
En 1935, il joue l'intégrale de l'oeuvre pour clavier de Bach en douze concerts, en 1936 l'intégrale Mozart et en 1937 celles de Schubert et Weber. De ces années ne subsiste que de rares et courtes pièces qui pèsent peu dans la discographie.
La guerre l'oblige a quitter l'Allemagne. Il se réfugie d'abord à Mexico, où il donne les Sonates de Beethoven. Puis aux Etats-Unis en 1941, où on accepte mal un pianiste qui ose programmer les Kreisleriana de Schumann.
Il y enregistre quelques disques pour RCA ou Vanguard avec Joseph Szigetti pour l'intégrale des Sonates pour violon de Beethoven, l'une de ses rares incursions dans la musique de chambre, alors qu'à Berlin il avait fondé le Trio Arrau avec des membres du Quatuor Wendling ! L'expérience avec A. Grumiaux, au milieu des années 1970 ne fut pas heureuse - l'intégrale Beethoven fut abandonné en chemin - et c'est donc là tout ce qui reste de l'Arrau chambriste... A part peut-être un trio de Brahms avec Casals et le Quintette opus 34 avec les Amadeus.
Après guerre, il commence a enregistrer pour la Columbia américaine (CBS/Sony), puis pour Emi dans les années 50 et quelques rares disques pour Decca ou Westminster.
Philips l'accueil en 1964 avec le projet d'une intégrale des Sonates pour piano de Beethoven. Il y gravera l'essentiel du répertoire qui nous reste. Mais le lègue discographique est loin de représenter une image exacte de son répertoire, beaucoup plus vaste et éclectique que ne le laisse penser la période romantique, nettement majoritaire. Car il ne dédaigne pas Stravinski, avec qui il a travaillé le concerto, ou Cage, ou même Stockhausen. Militait pour Busoni ou C. Chavez. Mais de cela, le disque ne nous a rien conservé. Il est possible que des bandes de concerts, ou de la radio, comblent en partie les absences de la discographie officielle, mais pour l'instant, il y a peu de témoignages.
En 1979, à soixante seize ans, il devient citoyen américain en signe de protestation contre le régime de son pays en dictature. C'est à la même époque qu'on le découvre vraiment en France avec la parution des Nocturnes de Chopin qui fera date. Les dix ou douze dernières années sont une remise à l'enregistrement de Beethoven, Mozart, Schubert, Debussy et même Bach.
« Le beau son peut plaire au public, mais vous n'êtes pas là pour faire plaisir. Vous êtes là pour émouvoir. » Claudio Arrau.
Claudio Arrau était un humaniste, lecteur inépuisable dans les cinq langues qu'il parlait ; collectionnait les icônes et les masques africains. Pour la musique il adorait écouter les cantatrices. Il en épousa même une. Il adorait le chant, passionnément.
Le jeu d'Arrau est le contraire d'aimable et se fiche de toute mondanité. Ses facilités techniques ne sont qu'aux services d'une hauteur de vue qui peut impressionner, mais surtout impose le silence. Ecoutons !