Antonín Dvorák
Présentation
de la Symphonie n° 9


Antonin Dvorák, New York Herald Tribune, 15 décembre 1893 :
Je pense que la musique des Noirs et celle des Indiens sont pratiquement identique aux modèles européens utilisés par Mendelssohn (Les Hébrides), les anciens modes ecclésiastiques, Félicien David dans sa Symphonie «Le Désert», Verdi dans Aïda et moi-même dans ma [7e] Symphonie en ré mineur. J'ai donc étudié attentivement un certain nombre de mélodies indiennes qu'un ami me donna, et m'imprégnais complètement de leurs caractéristiques --en fait de leur âme.

C'est cet esprit que j'ai essayé de reproduire dans ma nouvelle symphonie. Je n'ai pas réellement utilisé ces mélodies. J'ai simplement écrit des thèmes originaux en incorporant les particularités de la musique indienne, et, en utilisant ces thèmes comme des sujets, les ai développés avec toutes les ressources des rythmes, de l'harmonie, du contrepoint et de la couleur orchestrale modernes.

La symphonie est en mi mineur. Elle est écrite selon les modèles classiques et est en quatre mouvements. Elle débute par une courte introduction, un Adagio d'environ trente mesures. Celle-ci conduit directement à l'Allegro, qui incorpore les principes que j'ai exploités dans les Danses Slaves ; principes qui sont de préserver, traduire en musique, l'âme d'une race aussi distincte dans ses mélodies nationales que dans ses chants populaires.

Le deuxième mouvement est un Adagio [Largo]. Mais il est différant des pages classiques de cette forme. C'est en réalité une étude ou une esquisse pour une oeuvre plus longue, soit une cantate, soit un opéra que j'ai l'intention d'écrire, et qui sera fondé sur le « Hiawatha » de Longfellow. Il y a longtemps que je caresse l'idée d'utiliser ce poème. J'en fis la connaissance il y a environ trente ans par l'intermédiaire d'une traduction en bohémien. Il suscita à l'époque très vivement mon imagination, et l'impression ne s'est seulement renforcée que depuis que je vis ici.

Le Scherzo de la symphonie me fut suggéré par la scène de la fête dans « Hiawatha » où les Indiens dansent, et c'est également une tentative que j'ai faite dans le but de faire participer à la musique la couleur locale propre à l'hérédité indienne. 

Le dernier mouvement est un Allegro con feroce (sic!). Tous les thèmes précédents réapparaissent et sont traités de diverses manières. Les instruments sont seulement ceux que nous trouvons dans ce que nous appelons l'orchestre Beethoven", se composant des cordes, quatre cors, trois trombones, deux trompettes, deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes et timbales. Il n'y pas de harpe et je n'ai pas jugé utile d'ajouter de nouveaux instruments pour obtenir les effets que je voulais. 

J'ai vraiment été très occupé depuis que je suis arrivé dans ce pays. J'ai achevé deux oeuvres de musique de chambre, qui seront jouées par le Quatuor Kniesel, de Boston, en janvier prochain, au Music Hall. Elles ont toutes deux été écrites selon les mêmes principes que cette symphonie et reflètent le même esprit indien. L'une est un quatuor à cordes en fa majeur, et l'autre un quintette en mi bémol majeur pour deux violons, deux altos et violoncelle."

Jiri Berkovec, extrait de la plaquette du disque Ancerl [1961], Supraphon :
« Motifs --New York --matin du 19 décembre 1892 » : c'est ainsi que dans son carnet d'esquisses Antonin Dvorak intitula et data ses premières notations du thème utilisé dans l'introduction de sa Symphonie [...] ; le lendemain il y ajouta la notation d'un développement, nettement profilée dans le ton de ré bémol majeur, embryon du futur deuxième mouvement, Largo. Le 10 janvier 1893, le compositeur se mit à travailler sur l'esquisse de cette nouvelle oeuvre et du 9 février au 24 mai, il en écrivit la partition. Dans ses lettres il communiquait à ses amis en Bohème que son travail évoluait, qu'il en avait du plaisir et que cette symphonie serait substantiellement bien différente des précédentes... »

Pierre-E. Barbier, Plaquette du disque Smetacek [1974] Praga :
Le 6 juin 1891, Dvorak reçut une invitation comminatoire d'une certaine Mrs. Jeanette M. Thurber, fondatrice et directrice du Conservatoire (privé) de New York, lui offrant de venir enseigner dans cet établissement. Une telle invitation étant alléchante à plus d'un titre, Dvorak ne laissa pas passer une telle chance. Il quitta Prague début septembre 1892 et arriva à New York le 27. L'accueil qu'il reçut fut à la hauteur de ses espérances. [...]

Les nombreuses heures de liberté que lui laissait son emploi du temps furent rapidement consacrées [...] à la composition d'une nouvelle symphonie [...] achevée le 24 mai [1893]. Sa première publique fut donnée lors de la répétition générale conduite par Anton Seidl le 15 décembre au pupitre de la Société Philharmonique de New York. [...].

Anton Seidl (photo)
A. Seidl --Cliquez pour agrandir (91 ko)

Les circonstances de la genèse de l'oeuvre ont longtemps fait croire que cette dernière devait une large part de son inspiration mélodique aux chants des esclaves noirs des plantations, ou Negro spirituals. Son titre, « du Nouveau Monde », ajouté comme à regret, n'est rien d'autre que la reprise d'une légende de carte-postale, «Impressions et bon souvenir du Nouveau Monde», et non un «chant de la nouvelle terre des pionniers...». Les mélodies «indiennes» comme les thèmes «tchèques» s'entremêlent et rendent tous le même son «dvorakien». Mrs. Thurber avait déjà demandé au compositeur d'écrire un opéra en partant de l'argument offert par le poème épique de Longfellow, «Le Chant de Hiawatha », que Dvorak connaissait déjà dans sa traduction tchèque. Le compositeur persuada son employeur d'abandonner l'idée d'un opéra et de simplement inclure dans la symphonie l'essentiel de la dramaturgie offerte par le poème. Il affirma s'en être inspiré dans les deux mouvements centraux : « La danse de Pau-Puk-Keewis » aux noces dans le Scherzo, Les funérailles de l'héroïne dans le Largo. Le texte contant cette cérémonie peut être traduit comme suit :

« Alors ils ensevelirent Minnehaha ;
ils lui creusèrent une tombe dans la neige,
au sein de la forêt noire et profonde,
sous les sapins gémissants ;
il lui mirent ses plus riches atours,
l'enveloppèrent d'une robe d'hermine
la couvrirent de neige, semblable à l'hermine.
Ainsi fut ensevelie Minnehaha.»

Sur le plan de la structure, cette 9e et dernière Symphonie est classique en ses quatre mouvements, claire en sa technique de développement. Le souci premier de l'auteur fut de choisir une tonalité principale qui soit bien adaptée aux cuivres, et débuta se esquisses en fa majeur. Mais le caractère presque liturgique qu'il voulait donner aux mouvements centraux lui fit préférer celle de mi mineur, la même que celle de la dernière symphonie (la 4e op. 98) de Brahms. Tenant à affirmer le caractère cyclique de la partition, le thème dévolu au cor dans l'Allegro molto initial, au caractère «bohémien» confirmé par les réponses en tierces des bois, devient un leitmotiv. Il est réexprimé par le cor anglais dans le Largo, et se joint à la synthèse mélodique conclusive de l'Allegro con fuoco final.

Sur le plan de la progression dramatique, la partition débute sur une courte introduction, adagio, qui établit d'emblée le climat nostalgique souhaité. Suit un allegro de sonate véhiculant les deux thèmes principaux, celui au cor, puis la second, idée, pianissimo, confiée aux flûtes et hautbois. Le traitement harmonique est particulièrement personnel, alors que le travail de développement reste rudimentaire.

Le mouvement lent conte la légende. Après un choral solennel aux cuivres, le cor anglais reprend une mélodie ample et nostalgique (en ré bémol), qui est une imitation d'un chant du Far West emprunté au fonds irlandais des émigrés du Mayflower. L'épisode central, « un poco più mosso », joue sur le pôle d'ut dièse avant qu'une nouvelle phrase ne s'élève des bois et ne prenne un caractère pastoral lors de son développement. Réexpositions, coda, permettent à tout l'orchestre de s'exprime avec une intensité et une passion toujours plus fortes, cor anglais et violon reprenant le thème initial et laissant aux cuivres le soin de conclure sur un choral grandiose (tandis que les contrebasses réimposent la pédale de ré bémol.

Le Scherzo, molto vivace, dépeint une « fête indienne au cours de l'été ». L'écriture met en valeur une mélodie gaie et joyeuse aux bois, l'imitation de chants d'oiseaux agrémentés de trilles, un passage plus mélancolique au cor, alors que l'emploi de nombreux staccato, aux cordes, donne une impression de rigueur et  d'urgence qui rappelle le scherzo de la 9e Symphonie de... Beethoven.

Le Finale, comme l'Allegro initial, est précédé d'une courte introduction qui semble lancer le discours, avant l'énoncé du thème principal aux trompettes. Reprise par tout l'orchestre, cette idée est développée avec le dynamisme d'une danse slave. Se succèdent alors un épisode rythmé en triolets, une mélopée à la clarinette qui évoque le thème du cycle Nature, l'île et Amour [Othello], enfin une danse en forme de polka. Pour conclure, les mélodies populaires imaginaires provenant des terroirs bohémien et « américain » s'unissent en une puissante synthèse en mi majeur, après une nouvelle citation du thème du Largo (flûte et clarinette) ainsi désacralisé et rendu pastoral.»

Léon Plantiga, La musique Romantique. J-C. Lattès, 1989 p. 383-384 :
« Vue dans le contexte plus large de la musique européenne de la fin du XIXe siècle, l'oeuvre de Dvorak est d'une facture conservatrice, et il laissa son empreinte la plus décisive en tant que compositeur de grandes formes traditionnelles : symphonies, quatuors à cordes et musique de chambre avec piano. Il composa une proportion étonnamment forte de ses oeuvres les plus durables au cours des trois années où il vécut à New York en tant que directeur du Conservatoire national de musique. La plus célèbre entre toutes reste sa Neuvième Symphonie en mi mineur op. 95 (B. 178), du Nouveau Monde (1893). De conception très traditionnelle, elle comporte des mouvements extrêmes de forme-sonate, un mouvement lent et un scherzo et trio. Le premier mouvement s'écarte cependant des règles d'école en faisant entendre le deuxième groupe de thèmes en sol dièse mineur (fa bémol majeur dans la réexposition) --soit une tierce majeure plus haut que ce qu'on attendrait. La réutilisation de la célèbre mélodie initiale du deuxième mouvement dans le développement du finale est sans doute moins heureuse. Bon nombre des mélodies de cette  symphonie ont une couleur modale, obtenue le plus souvent simplement par l'emploi de la septième bémolisée en mineur ; leur allure folklorique est parfois soulignée par un accompagnement en bourdon ou par une harmonisation faite de simples accords parfaits [...].
Beaucoup ont été tentés de voir dans cette musique des influences précises du cadre américain où vivait Dvorak --tendance qui fut encouragée par certaines remarques du compositeur lui-même, qui déclarait dans une lettre d'avril 1893 que « ceux qui ont le nez sensible décèleront l'influence de l'Amérique » [Antonin Sychra, Antonin Dvorak. Zur Aesthetik seines symphonischen Schaffens (Leipzig, 1973), p. 258]. On a souvent noté la ressemblance entre le premier thème en sol majeur du premier mouvement avec le spiritual Swing Low, Sweet Chariot. Dvorak s'était effectivement donné la peine de se familiariser avec la musique américaine ; il écouta avec intérêt le chanteur noir Harry Thacker Burleigh, et profita d'une de ses visites à la communauté tchèque de Spillville, dans l'Iowa, pour découvrir les chants et les danses d'un ensemble indien. Mais il est difficile de prouver que de tels contacts aient exercé aucune influence importante sur son style. » 

Peter Petersen, in Le monde de la Symphonie. Van de Velde/Polydor, 1972,  p. 231 :
« On a beaucoup écrit sur les influences de la musique américaine que recèle cette symphonie. Pendant qu'il était directeur du Conservatoire de New-York, il a effectivement porté un grand intérêt aux chants et aux danses des nègres américains. Il a lui-même précisé sous quelle forme cette musique avait trouvé accès dans sa symphonie : «Je n'ai pas utilisé une seule de ces mélodies. J'ai simplement composé des thèmes à moi, leur donnant les particularités de la musique des Noirs et des Peaux-Rouges ; et, me servant de ces thèmes comme du sujet, je les ai développés au moyen de toutes les ressources du rythme, de l'harmonie, du contrepoint, et des couleurs de l'orchestre moderne ». Parmi ces particularités mentionnées par Dvorak il faut citer, pour ce qui est du traitement mélodique, les gammes pentatoniques ou bien les tournures pentatoniques ainsi que l'utilisation frappante du mode éolien ou mixolidien. En ce qui concerne le traitement rythmique, le rythme lombard se retrouve avec une plus grande fréquence que les autres oeuvres de Dvorak. Ceci mis à part cette symphonie contient toutes les caractéristiques du style dvorakien même si celui-ci n'apparaît pas dans toutes les parties de l'oeuvre aussi nettement que dans les symphonies précédentes en fa [5e], ré [6e] et sol majeurs [8e]. »

L. Rebatet, Une Histoire de la musique. R. Laffont, 1969 p. 676 : 
« La fameuse Symphonie n° 5 [dans l'ancienne numérotation] en mi mineur « du Nouveau Monde », inspirée par son séjour en Amérique, débute par quelques mesures de rhétorique toute beethovénienne. Mais elle tourne bientôt à un catalogue de petites mélodies où l'on distingue plus ou moins un écho des « negros spirituals » et des chansons de cow-boys... Dans le dernier mouvement, quand Dvorak veut forcer la voix, ses trompettes et ses timbales deviennent assez vulgaires, alternant avec une sentimentalité qui se relâche. Cette Symphonie du Nouveau Monde est bien le type des oeuvres qui donnent aux auditeurs d'une demi-culture la sensation de s'élever à la « grande musique » ; d'où, son succès universel. On préfère Dvorak dans sa musique de chambre, comme le Quatuor à cordes en mi bémol majeur, d'une composition fort simple --on est loin de Franck, sans parler du dernier Beethoven --mais d'un assez joli lyrisme, certainement écrit pour le plaisir par un homme qui aimait Schubert et Mozart. L'orchestration de Dvorak est encore plus sage que celle de Smetana. [...] » 

Liens Dvorák

Alain Chotil-Fani nous présente la musique tchèque et réalise un beau travail sur Dvorák et, en l'occurence, «notre symphonie», les circonstances de sa compostition, etc. Vous y trouverez le Chant de Hiawatha en Français et anglais par exemple et de nombreuses anecdotes sur le compositeur qui le rendent très vivant. Bref, cliquez vite.
site en français http://perso.wanadoo.fr/alain.cf

Sur le même site, vous avez accès au catalogue de Jarmil Burghauser.
http://perso.wanadoo.fr/alain.cf/dvocata.htm

« La Médiathèque » met a disposition beaucoup d'informations discographiques sur bon nombre d'oeuvres, hélas sans aucun commentaire qui nous aideraient à choisir... Le site en entier vaut le détour.
site en français www.lamediatheque.be/TCHEQUIE/DVORAK.htm


http://patachonf.free.fr/musique

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