Présentation du

Prélude à l'après midi d'un Faune



bibliographie

NB : Les symboles note pointent sur la page de la partition.

Capar Höweler, Sommets de la Musique. Flammarion, 1958.

Le poème bucolique L'Après-midi d'un faune de Stéphane Mallarmé évoque l'état d'âme d'un faune qui sommeille voluptueusement à l'ombre, sur la pente de l'Etna. Cette paresseuse béatitude, Debussy l'a fixée dans son Prélude. Le compositeur lui-même commente en ces termes : « La musique de ce Prélude est une très libre illustration du beau poème de Mallarmé. Elle ne désire guère résumer ce poème, mais veut suggérer les différentes atmosphères, au milieu desquelles évoluent les désirs, et les rêves de l'Egipan, par cette brûlante après-midi. Fatigué de poursuivre nymphes craintives et naïades timides, il s'abandonne à un sommet voluptueux qu'anime le rêve d'un désir enfin réalisé : la possession complète de la nature entière. » [citation extraite de la notice de l'édition originale] Molle et lointaine, une flûte joue sa mélodie méditative ; seul un oriental peu trouver pareils rythmes berceurs. De la harpe, coulent quelques glissandi entrecoupés par les lents signaux des cors. Aussitôt la flûte reprend sa méditation qui, cette fois, se développe par-dessus le léger bourdonnement des cordes, le reste des bois jetant une note plus lyrique au milieu de ce concert champêtre. La flûte reste dominante, puis le hautbois introduit un air plus vif, que les violons reprennent, tels des amants que brûle le désir. Un mélodie en crescendo et un diminuendo se combinent pour produire un effet des plus curieux, préparant la transition vers la partie médiane en ré bémol majeur. Dans ce passage, partition page 13 la mélodie rappelle le mélisme de Massenet, mais après quelques mesures, ce lyrisme se double d'effets d'orchestre javanais. Durant un rien de temps, des triolets « à la Hérodiade » risquent de faire tourner au pathétique l'acmé de la composition, mais la poussée diminue en temps opportun et le violon-solo a tout l'air de vouloir terminer la partie médiane, d'autant plus que la flûte reprend, mais en plus lent, le début du Prélude. Néanmoins nous assistons encore aux ébats de l'égipan au milieu des rondes de nymphes folâtres : grotesque et languissant, le hautbois se mêle aux bois et aux cordes. Puis, nouvelle reprise en plus lent du début du Prélude, ensuite retour du satyre et des nymphes et, après l'intervention des aristocratiques cymbales antiques *, l'atmosphère mollement voluptueuse, qui enveloppait tout le début du Prélude se recrée, puis se meurt petit à petit dans une perspective de plus en plus lointaine. »

* Les crotales : elles sont « petites et épaisses, elles sonnent très dur et très strident. » (W. Stauder, Les instruments de musique. Payot, 1963).

« C'est un berger qui joue de la flûte, assis le cul dans l'herbe. »
Debussy à Camille Chevillard.

René Leibowitz, Le compositeur et son double. Gallimard, 1971-1986, p. 252 sqq.

« Je me souviens d'une conversation que j'eus il y a fort longtemps avec Ricardo Viñes qui, comme on sait, fut un ami intime et l'un des interprètes préférés de Debussy [...]. Nous vivions alors l'époque dite impressionniste des interprétations de Debussy et Viñes me mit en garde contre les abus de cette conception. Il critiqua très fermement ce que nous avons appelé l'atmosphère brumeuse et vaporeuse de la plupart des exécutions et me signala, entre autre, les deux fait suivants. Debussy lui-même ne jouait pas de cette manière et il ne la prisait guère chez d'autres ; par ailleurs l'étude des partitions d'orchestre de Debussy révèle (dès les oeuvres de jeunesse) une instrumentation très incisive, souvent plutôt « acidulée », qui va totalement à l'encontre des pratiques courantes à l'époque. [...]

La plupart des exécutions de cette oeuvres témoignent justement de ces qualités « vagues » et « floues » à l'aide desquelles on croit rendre justice au caractère « impressionniste » de la partition. Cela me semble complètement faux, étant donné la structuration extrêmement précise et rigoureuse de ce mouvement éminemment symphonique. Il s'agit en effet d'un typique mouvement de symphonie qui s'articule selon le schéma caractéristique de la forme « Lied » (A-B-A'). Faire saisir cette articulation aussi bien dans les détails que dans son aspect global, telle devrait tout naturellement être la préoccupation fondamentale de l'interprète. Ce n'est pourtant pas cela qu'on s'efforce généralement de nous faire comprendre.

Dès les premières mesures, on fait entendre le célèbre solo de flûte comme s'il s'agissait d'une vague improvisation, et cette allure subsiste tout au long des seize mesures suivantes, ce qui a pour résultat de morceler le discours de telle manière qu'il en devient presque incompréhensible. Or, nous avons affaire ici (au cours des 20 premières mesures partition page 1) à un thème constitué de manière on ne peut plus rigoureuse selon le type classique de la période.

Antécédent : mesures 1-10 (Proposition : mesure 1-4 ; contraste et Césure : mesures 5-10) ;
Conséquent : mesures 11-20 (Répétition de la proposition : mesures 11-14 ; cadence : mesure 15-20).

Il est, par conséquent, essentiel de nous faire sentir toute cette période comme une entité, et cela ne peut se faire que si l'on cherche à serrer le discours le plus rigoureusement possible et non pas à le diluer. [...]

Les sept mesures suivantes constituent une liquidation du thème, au cours de laquelle celui-ci finit par perdre sa physionomie propre, ce qui nous mène à une véritable neutralisation (mesures 28-30 partition page 8). Il est évident que cette première structure intermédiaire (liquidation-neutralisation) doit accuser une allure moins déterminée (plus « vague », si l'on veut) que ce n'était le cas pour la présentation du thème. Ici, en effet, l'interprète doit faire intervenir davantage de rubato afin de faire comprendre le caractère « intermédiaire » précisément de ce moment de l'oeuvre. Or, étant donné qu'on nous fait généralement entendre le thème lui-même comme une sorte d'improvisation, il devient pour ainsi dire impossible de graduer le discours dans le sens d'une plus grande « liberté » de présentation.

Les vingt mesures suivantes (31-50 partition page 8 ; à noter l'usage de groupes de dix mesures ou de multiples de dix mesures) constituent une transition. Celle-ci comporte deux sections : la première se fonde sur un modèle de trois mesures (la troisième étant une répétition de la seconde) exposé deux fois. L'allure doit de nouveau se resserrer ici afin de faire comprendre le côté déterminé de cette structure. Cette détermination apparaît avec plus d'évidence encore dans la deuxième section de la transition, où Debussy lui-même note qu'elle doit être jouée « en animant » [mesure 37 partition page 10]. Le défaut principal de la plupart des exécutions consiste en un mélange de préparation du mouvement animé de la deuxième section et cela parce que la première section n'est pas jouée avec une détermination et une rigueur suffisantes.

Les deux dernières mesures de la transition ont pour fonction de rétablir le mouvement du début. Cela se fait à l'aide d'un ritardando [mesure 49 partition page 14] qu'il faut, à mon avis, faire commencer (mais de manière très subtile) une mesure plus tôt qu'il n'est indiqué. [...]

Les quatre mesures suivantes (51-54) utilisent encore une fois un élément important de la transition et constituent un conduit qui reproduit le deuxième thème (partie centrale contrastante) de l'oeuvre.

Debussy, Chausson et R. Bonheur (photo, 1893 - cliquez pour agrandir)
Debussy, les Chausson et Raymond Bonheur en 1893

La partie centrale compte en tout vingt-quatre mesures. Le deuxième thème proprement dit est bâti selon une forme tout à fait traditionnelle : une section de huit mesures (contenant deux éléments contrastants) présentée deux fois. Trois mesures de liquidation nous amènent à la retransition (mesures 74-78 partition page 20) introduite d'abord par le motif transitionnel qui avait également servi au conduit, et qui se poursuit par la superposition contrapunctique des deux éléments contrastants du deuxième thème.

Les interprétations courantes ne nous font généralement pas bien saisir les différentes finesses de toute cette partie. Elles ne tiennent que très peu compte des différentes articulations que nous venons de signaler, de même qu'elles ne font pas un usage adéquat de la « ponctuation » musicale. C'est ainsi que l'on entend trop souvent une césure exagérée entre les deux présentations de la section principale du deuxième thème. Cette césure facilité la tache des exécutants, il est vrai, car il est plus aisé ainsi d'attaquer le pianissimo après le forte qui précède, mais en même temps elle sépare de trop les deux sections du thème et provoque ainsi un morcellement nocif. En fait, le changement si subit de l'intensité dynamique --qui doit, par lui-même, créer la césure --perd ainsi de sa force et crée, encore une fois, cette atmosphère « floue » qui nous paraît parfaitement déplacée en l'occurrence. [...]

Il n'est pas nécessaire d'analyser aussi en détail la reprise et la coda. Qu'il nous suffise de dire qu'ici non plus la plupart des exécutions n'arrivent guère à rendre justice aux nombreuses subtilités du texte. C'est ainsi qu'on exagère --comme de juste --la « langueur » du thème dès sa réexposition, alors qu'il devrait prendre à présent un caractère plus déterminé encore qu'au début de l'oeuvre, ne fût-ce qu'à cause du nouveau segment contrastant dont il se trouve pourvu (lequel illustre d'ailleurs parfaitement la pensée de Viñes quant à la qualité « acidulée » de l'orchestration debussyste). Par ailleurs, Debussy lui-même prend soin d'indiquer que le thème doit être joué « avec plus de langueur », mais seulement au début de la coda [mesure 94 partition page 27]. Cela est pour ainsi dire irréalisable quand on s'est déjà abandonné à cette langueur plus tôt. »

« Que Monsieur Debussy revienne a plus de simplicité et on peut lui promettre un brillant avenir. » Critique du Guide Musical.

Harry Halbreich, Analyse de l'oeuvre. Dans le Debussy de Lockspeiser.

« Le premier volet (Exposition), de trente mesures, se compose de quatre présentations du thème, chacune suivie d'un commentaire, dont le dernier conclut classiquement à la dominante. La première présentation est sans aucun accompagnement, les trois autres harmonisent la mélodie de trois manières différentes. L'inoubliable arabesque de flûte : d'un caractère troublant ensoleillé et oriental à la fois, comprend deux moitiés bien contrastantes : au chromatisme mélodique des deux premières mesures, couvrant l'ambitus antitonal de triton (quarte augmentée) correspondent des valeurs rythmiques complexes, alors que le franc diatonisme tonal des deux suivantes (la troisième affirme nettement la tonique de mi majeur) s'inscrit dans des rythmes beaucoup plus simples consulter la page une de la partition.

thème

Cette troisième mesure, l'un des leitmotive mélodiques de Debussy (on le retrouve dans Nuages et dans bien d'autre pièces) est issue du solo de hautbois ouvrant la Scène aux champs de la Symphonie fantastique de Berlioz.

Le dernier motif (mesure 4) servira à la coda partition page 30 (coda) de la partition. Sous lui viennent se glisser les harmonies rafinées et complexes du premier commentaire. La deuxième présentation du thème (chiffre 1, mesure 11 partition page 3) l'harmonie en ré majeur, et sa « vraie » harmonisation, à la tonique mi majeur, n'apparaîtra qu'à la troisième (chiffre 2, mesure 21 partition page 5). [... ] L'arrivée tardive sur le ton principal donne à cette troisième présentation le caractère d'une véritable exposition (ce qui précède est, psychologiquement, une introduction !). Il va sans dire que les quatre présentations et leurs commentaires sont sans cesse variés dans leur structure ryhtmique, leurs timbres, etc., introduisant déjà ces alternances de passion charnelle et de pureté idéale que suggère le poème. Le dernier commentaire partition page 8 introduit aux flûtes les cascades de triolets utilisés dans le Milieu (section III), souvenir de la Schéhérazade de Rimski-Korsakov, ou de la Thamar de Balakirev.

A propos de Rimski-Korsakov : « Je défie qui que ce soit de rester insensible à cette musique » Debussy.)

Suit un premier développement (chiffre 3, mesure 31) en trois éléments : une élaboration du thème en gamme par tons; l'apparition d'un deuxième thème (chiffre 4, mesure 37), chant de hautbois aux larges intervalles diatoniques, qui va servir à parcourir tout le cycle descendant de non moins de neuf quintes (de mi à ré bémol) ; enfin, une classique pédale de dominante (chiffre 6, mesure 51) préparant le "Milieu".

Celui-ci, en ré bémol majeur (mesure 55), constitue le paroxysme expressif du morceau, avec une grande mélodie à l'unisson des bois, harmonisée aux cordes et faite de quatre périodes: A, A', B et C.

B provient du développement précédent, tandis que C mélange A et B. Ce thème expressif, aux grands intervalles mélodiques, se ressent de l' époque, avec sa volupté rappelant Massenet et son harmonisation assez franckiste (on pense aux Eolides), bien que parcouru de gammes par tons. On notera la superposition de valeurs rythmiques variées et différentes, typique de Debussy. Dans la période C, ce thème est devenu un solo de violon, d'une touchante et désarmante faiblesse, environné de commentaires du cor, puis de la clarinette et du hautbois, sur la période B.

exemple 3

Un deuxième développement (chiffre 8, mesure 79), de caractère wagnérien (en vagues parallèles) débute par un sensationnel changement d' éclairage tonal (sixte de mi majeur) et orchestral (rentrée des tenues de cordes avec arpèges de harpe, on pense au finale de la Symphonie de Franck), tandis que le thème initial, en augmentation, plane à la flûte, rêveur et pur. Il apparaît ensuite (Un peu plus animé, mesure 83) en diminution, avec trilles et notes répétées, au hautbois sensuel, suivant toujours les contrastes du poème de Mallarmé. On remarquera l' extraordinaire étagement des timbres à la mesure 85: idée de chute vers le grave, avec les flûtes froides, les hautbois nasillards, les clarinettes neutres, les chauds bassons, cependant que les valeurs sont paradoxalement ralenties, alors que la vitesse de chute aurait dû les précipiter... Les deux phrases contrastantes de ce développement sont ensuite reprises, transposées sur d'autres degrés, la dernière mesure atteignant à un effet voulu de flou, de noyade.

La réexposition (chiffre 10, mesure 94), variée évidemment, est abrégée, ne comportant que deux présentations du thème avec commentaire au lieu de quatre. Ici interviennent pour la première fois les sonorités argentines des cymbales antiques (que Berlioz avait utilisées le premier dans le Scherzo de la reine Mab, de Roméo et Juliette, les faisant reconstruire tout exprès d'après des modèles trouvés à Pompéi). La dernière harmonisation de thème est aussi la plus complexe et la plus génialement belle (sixte sensible de fa dièse/dominante de ré dièse, le tout dans le contexte de sol dièse mineur). Le dernier commentaire fait entendre par trois fois la mesure finale du thème, jamais reprise depuis le tout début de l'oeuvre, sur des harmonies froides et crépusculaires: ceci annonce la sublime coda de cinq mesures seulement (chiffre 12, mesure 106), illustrant selon le témoignage de Debussy lui-même le dernier vers du poème: "Couple, adieu, je vais voir l'ombre que tu devins."

Sur pédale de tonique, nous entendons le squelette du thème aux harpes (106), puis son harmonisation aux cors et violons dans le grave, en marche sur pédale, note contre note, passage tout proche de l' épilogue de la future Péri de Paul Dukas (107). Enfin, le thème est une dernière fois murmuré à la flûte, en augmentation, mais défectif, réduit à quatre notes (do dièse-mi-do dièse-sol dièse), les autres étant éliminées; sentiment d'inachèvement, de suspens, car le thème n'a plus abouti.


Manet, illustration pour le faune (dessin)
Manet, illustration pour l'édition de l'Après-midi d'un Faune de Mallarmé.

« La plus forte influence qu'ait subie Debussy est celle des littérateurs, non celle des musiciens. » Paul Dukas.

Heinrich Strobel, Claude Debussy. Plon, 1948, p. 92-93.

« Le poème de Mallarmé, que le prélude de Debussy a fait entrer dans l'immortalité, a été inspiré par un tableau de Boucher, de la National Gallery, à Londres : un jeune faune, caché dans les roseaux, épie d'un oeil lascif les jeux des nymphes. Mallarmé dépeint cette scène. Le faune rêve des nymphes. Elles éveillent l'éternel essaim du désir. Il joue de la flûte dans la chaleur d'une matinée sans nuages. Les nymphes paraissent. Il les surprend et les soumet à son désir. Puis il tombe dans un sommeil las. Seule sa flûte évoque sa fantastique aventure. [...]

La partition est baignée de lumière. D'une lumière magique, énervante, voluptueuse. Elle proclame la passion. Mais non pas avec la grande voix du pathétisme wagnérien, quoique les moyens dont use celui-ci y trouve partout écho, mais dans une extase de lassitude lyrique. Elle suscite des images non point dépeintes, mais suggérées. Le faune souffle dans sa syrinx. Peut-être est-ce Pan que Laforgue a évoqué dans sa nouvelle enchanteresse. La syrinx exhale d'étranges arabesques sur une gamme inusitée. Elles se transforment en motifs. le jeu se mue en passion. Les progressions sont estompées, elle plongent dans la chaleur de midi --ou dans l'irréalité du songe avant de se déployer vraiment. C'est là la surprise, la fascination ; un désir lassé, une volupté rêveuse, un ruissellement vague.

François Boucher, Pan et Syrinx (1759)


François Boucher, Pan et Syrinx (1759). Source : www.nationalgallery.org.uk

V. Jankelevitch, Debussy et le mystère. Ed. de la Baconnière, 1949.

Dans le Prélude à l'après-midi d'un faune le mystère a trouvé l'heure privilégiée de sa journée ; - mieux encore, ce mystère d'après-midi est mystère du soleil au zénith, mystère de l'été panique et du silence aveuglant. C'est l'heure étale ou la nature entière hésite, accablée par la lourde présence méridienne de toutes choses. « Le Soleil torride à son apogée pleure des lingots ! » [Jules Laforgue, Mélanges posthumes, Paysages et impression p. 25] Pan, c'est-à-dire le dieu-totalité, représente ce silence surnaturel de midi sicilien, et Schelling dit que Vacarme est son fils : car dans le grandiose silence épandu sur les plaines il y a un élément d'angoise ; entouré du cortège des faunes et de toutes les divinités paniques, le dieu cornu, velu, chèvre-pied habite la vaste paix des campagnes, mais il est aussi la cause de ces terreurs mystérieuses qu'on appelle justement les paniques et qui n'ont jamais de cause particulière, étant provoquées par le principe invisible, immémorial et général de la nature. le silence du dieu rustique atteint son apogée vers midi. Alors il ne faut pas le troubler. lorsque Pan fait sa sièste les pasteurs de Théocrite ont peur de souffler dans leurs flûtes. Dans la chaleur immobile qui fait vribrer l'air et trembler toutes choses sur la terre brûlante, la flûte du faune déroule sa cantilène si chargée de volupté qu'elle en devrient angoissante : c'est Eros cosmogonique qui nous parle ainsi par la voix bucolique de la flûte, et l'on sait comment Ninjinski, mimant le « coït avec Rien », imposait au public des Ballets russes cette angoisse méridienne, cette panique estivale, ce désespoir aphrodisiaque. Mais l'églogue de Debussy n'exprime pas seulement la convoitise inextinguible : elle signifie encore le système de l'accablante évidence, celle qui tient à la présence pure et qui est toujours superlative ; elle choisit pour cela l'heure du solstice quotidien, celle où le terride Equateur ceinture nos campagnes, comme si la dureté, parvenue au centre du jour, atteignait son point d'équilibre entre les extrêmes et s'immobilisait dans le marsme d'un éternel Maintenant : l'éffusion pastorale déroule lentement ses volutes dans cet air de midi qu'aucun souffle de vent n'agite. »


Effectif

3 flûtes, 3 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 2 harpes, crotales (cymbales antiques), 2 violons, alto, violoncelle, contrebasse.

Création

le 22 décembre 1894 par l'Orchestre de la Société Nationale à Paris, dirigé par le compositeur et chef d'orchestre suisse Gustave Vincent Charles Doret, (1866-1943). Il fut élève de Joachim à Berlin et de Massenet à Paris. Il s'est intéressé au folklore de son pays et a composé notamment pour le carnaval de Vevey. On peut retenir de sa production les cantates "Tell", "La fête des vignerons", les opéras-comiques "En prison", "Les Armaillis", et "Le nain du Hassli". Les airs de ce dernier opéra sont souvent chantés dans les chorales locales. Un Quatuor de 1924.

L'oeuvre est tant apprécié par le public qu'elle est rejouée...


Manuscrit

La reproduction du manuscrit autographe a été publiée dans une belle édition reliée chez Hermann en 1969. Il semble qu'il soit encore au catalogue pour la modique somme de 183 Euros...

Orientation bibliographie

Barraqué : Debussy (couverture de l'édition originale, 1962)Lockspeiser : Debussy. Fayard (couverture)collectif : Debussy, Hachette (couverture)

Jean Barraqué, Debussy. Seuil "Solfèges", 1962.

Edward Lockspeiser, Claude Debussy. Fayard, 1980 [Debussy, his life, his mind, 2 vol. Londres, Cassel 1962-1965].

Publiés à l'occasion du centenaire de la naissance du compositeur, ces deux livres restent, pour l'un, une admirable synthèse et pour l'autre une analyse fouillée. Dans le gros volume Fayard, une partie supplémentaire, sous la plume de Harry Halbreich est consacrée à une analyse de l'oeuvre.

Collectif, Claude Debussy. Hachette "Génie et Réalités", 1972.

Henrich Strobel : Claude Debussy (couverture)Revue Musicale numéro 258 spécial, 964 (couverture)

Heinrich Strobel, Claude Debussy. Plon, 1948. [Atlantis-Verlag AG., Berlin-Zurich, 1940/43]

Ce livre, de grande qualité, rédigé en pleine guerre, est une étonnante contribution d'un allemand à la connaisssance de Claude de France.

La Revue Musicale, n° 258, Claude Debussy, livre d'or. 1964.

Ce numéro, moins essentiel que biens d'autres, contient néanmoins quelques intéressantes contributions de musiciens autour de l'oeuvre de Debussy, et c'est ce qui en fait sa valeur ; Maurice Emmanuel, Henri Sauget par exemple. On peut lire aussi de savoureuses « notes sur Debussy » de Jean-Joël Barbier, ainsi que plusieurs textes repris en volumes ultérieurement. Cet ouvrage semble toujours disponible au catalogue musique, chez Hermann.

Debussy, Correspondance (couverture)

Claude Debussy, Correspondance, 1884-1918. Réunie et présentée par François Lesure. Hermann, 1993.

Claude Debussy, Monsieur Croche et autres écrits. Edition de François Lesure. Gallimard "L'Imaginaire", 1987.

François Lesure est aussi l'auteur du Catalogue de l'oeuvre de Claude Debussy, publié chez Minkoff en 1977. Nous voilà donc révélé le sens de la mystérieuse lettre «L» figurant parfois à côté des oeuvres. Je n'ai pu consulter un autre livre de cet auteur qui intéresse notre période : C. Debussy avant "Pelléas" ou les années symbolistes, chez Klinckseick en 1992. La Correspondance existe aussi dans une belle édition illustrée de nombreux documents (1980).

Regrets... de ne plus trouver le Debussy de Charles Koechlin, car le témoignage d'un compositeur sur un autre compositeur a, comme dans le cas de l'ouvrage de Jean Barraqué, une valeur incomparable. Et d'un autre point de vue, de ne pas trouver si facilement que ça, le livre d'Antoine Goléa publié chez Seghers dans la fameuse collection "musiciens de tous les temps" en 1966 (certains chapitres sont malgré tout diponibles dans l'ouvrage d'Hachette "Génies et Réalités").

NB : Pour les livres indisponibles essayez www.livre-rare-book.com


Citation

« Cette musique est la sensualité à l'état pur, sans recours à l'anecdote -- on pourrait dire malgré l'anecdote. Dans le Prélude à l'après-midi d'un faune, il n'y a ni faune ni nymphes. C'est le poème de la chaleur « assoupie de sommeils touffus ». L'émotion d'un instant suffit comme « programme » à toute une oeuvre, précisément parce qu'elle se meut dans un temps immobile. L'instant se développe en largeur, en intensité. Le noyau sensuel qui sert de point de départ germe, grandit jusqu'à l'horizon, gagne tout l'univers, dans tous les sens à la fois. La musique cesse d'être développement pour devenir enveloppement. Et l'on est à l'intérieur. Féminine et virile, aquatique mais avec le noyau de feu à l'intérieur, la musique de Debussy est une musique androgyne. » Jean-Joël Barbier.



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