Mise à jour : 19 mai 2003

Discographie Bruckner
Huitième symphonie

en ut mineur - Wab 108



B

Barbirolli, 1970 (Carlton 91922)

Barbirolli, ø Concert Londres, Royal Festival Hall, 20 mai 1970 Hallé Orchestra - BBC "Legends" BBCL 4067-2 / Carlton 91922 / Arkadia/Hunt CD 717 [avec une fausse date : 20 juillet et un défilement de bande trop rapide]
Durées : I. 14'34 - II. 13'27 - III. 23'35 - IV. 22'07 = 1 h 13'45 - [Vers. 1887/90 Robert Haas, 1935]
6 Rép. n° 32 & 150 / 2Y Diap. n° 368 /4* Monde n° 260

« La fièvre du concert peut susciter des interprétations brucknériennes tout à fait inattendues... Il manque en effet à la vision très motorique de Barbirolli (il relance infatigablement les tempos dans le Finale), un orchestre capable de soutenir le poids d'une telle œuvre. Ici les cordes sont sèches, les cuivres exsangues. » (Ch. Huss, Répertoire n° 32 p. 36 - janvier 1991)

« Il y a de beaux moments - le mordant du II, les vagues d'émotions du III ou la relance permanente du IV -, mais aussi une tendence à l'emphase (climax de III, quelques minauderies de traits pour souligner ce qui devrait simplement coiuler de source), un volet initial en deça et surtout, dès le début une incapacité des violons à incarner un son brucknérien. Ces mêmes violons frisent d'ailleurs le naufrage dans les dix dernières minutes. » (Ch. Huss, Répertoire n° 150 p. 58 - octobre 2001)

« Cette Huitième Symphonie de Bruckner - dans la bonne édition (Haas) - est un peu le testament musical du chef. Malgré un Orchestre de Hallé loin d'être parfait (les violons sont à la peine surtout dans le finale), l'interprétation est toujours émouvantes, intensément dramatique (« Adagio », finale) et plus d'une fois électrisante (le scherzo, rapide et féroce, avec une détente idéale dans le trio). Barbirolli, très subjectif, tragique ou même « pathétique » au bon sens du terme (à la Leonard Bernstein), frise l'emphase ; il impose cependant une vision puissante et dynamique (le finale !) et incrit l'œuvre, malgré la fébrilité de ses contrastes et la violence de ses inflexions, dans un geste architectural d'une exceptionnelle sûreté. » (P. Szersnovicz, Monde de la Musique n° 260 p. 83 - décembre 2001)

« Précison d'amblé que la qualité technique de ce disque est d'une médiocrité inacceptable pour un enregistrement de cette date [...], enfin l'orchestre Hallé était ce soir-là en très petite forme. Ces réserves (importantes) exprimées, La vision de Barbirolli est a connaître par sa grande liberté comme par ses outrances ; le Scherzo est mené à un tempo d'enfer (que l'orchestre ne soutient guère) et le crescendo de l'Adagio s'accélère curieusement, tandis que le Finale souffre de plusieurs baisses de tension. Mais en dépit de tout cela, il passe à l'audition de ce disque un souffle qui fait regrettant qu'aucun éditeur n'ait confié à Barbirolli un grand orchestre et un studio pour graver l'œuvre de façon digne de sa conception. » (Jean- Claude Hulot, Diapason n° 368 p. 112 - février 1991)

Barenboïm [1], ø 9 décembre 1980 OS. Chicago - DG 429-025-2 (p) 1993 (intégrale 72-81) [2741 007 (+ Te Deum) / 2740 253 (intégrale) - LP]
Durées : I. 15'21 - II. 15'09 - III. 25'55 - IV. 22'55 = 1 h 19'20 [Vers. 1887/90 Robert Haas, 1935]
4Y Diap. n° 266, 268 & 399 (intégrale) / 4* Monde n° 173 (intégrale)

« Reste la Huitième, le plus haut sommet de la pensée de Bruckner, une page qui telle la Troisième, a longtemps souffert de piètres réalisations discographiques. Barenboïm, comme avant lui Furtwängler, Karajan et Wand, choisit donc l'édition Hass mais, chose curieuse, n'est pas totalement fidèle à sa lettre : ainsi, dans l'immense tutti couronnant la progression terminale de l'adagio (mesure 253), prolonge-t-il le mi bémol des violons - ainsi que l'indique, à tort, [l'édition] Nowak - ce qui a pour regrettable effet de masquer un stupéfiant arpège ascendan des harpes, que tout brucknérien garde e mémoire. Avec des tempos judicieusement enlevés (plus rapide que ceux de ceux de Karajan et même ceux de Wand), Barenboïm aborde les deux premiers mouvements de façon incisive et fougueuse. Cette vitalité ne parvient cependant pas toujours à traduire la sombre imminence emplie d'écroulement tragique, de ces deux temps. Paradoxalement, Karajan, qui est plus lent, soutient mieux la ligne de chant, et galbe de la courbe mélodique. L'Adagio et le colossale Finale ont avec Barenboïm une respiration enthousiasmante. La perfection du détail et la précision de l'articulation sont malgré tout supérieures chez Karajan et chez Günter Wand, très soutenus, violents et amples, mais Barenboïm, plus souple, révèle d'étonnantes inflexions, fort personnelles, souvent heureuses. D'une façon générale, Barenboïm est beaucoup plus à son aise dans les transitions, dans certaines échappées qui souvent au sein des développements, que dans le dur métal d'une coda ou d'un Finale. [...] Moins perfectionniste, ni somptueusement dense qu'un Karajan, moins mystique qu'un Jochum, moins héroïque qu'un Günther Wand, Barenboïm défend l'envoûtement intérieur, mystérieux. » (P. Szersnovicz, Diapason n° 266 p. 49 - novembre 1981)

Barenboim, 1994 (Teldec 94567)

Barenboïm [2], ø Concert octobre 1994 Orchestre Philharmonique de Berlin - Teldec 4509-94567-2 / 3984-23496-2 (intégrale 90-97)
Durées : I. 14'39 - II. 14'16 - III. 25'44 - IV. 22'22 = 1 h 17'01 [Vers. 1887/90 Robert Haas, 1935]
8/9 Rép. n° 87 / 4Y Diap. n° 423 / 4Classica n° 9 (intégrale)

« Choisissant justement l'édition Haas, Barenboim enpoigne la partition avec une fougue qui n'exclut pas la spiritualité et la poésie. Il fait partie des rares interprètes qui soutiennent l'intérêt des deux premiers mouvements face aux monuments d'inspiration que constitue l'immence « Adagio » et le suffoquant finale. Là encore, son mérite est de ménager une perpétuelle avancée sans rien sacrifier en matière de phrasé et d'expression. Le traitement des agrégats sonores est exemplaire, les fortissimos les plus spectaculaire ne couvrent jamais les cordes et les subtilités des bois ne font jamais chuter la tension. Il est dommage que le « Scherzo » paraisse un rien bousculé compromettant les effets d'aboiements en cascade si caractéristiques des cors et l'intégration du thème central apaisé. » (Philippe de Souza, Répertoire n° 87 p. 30 - janvier 1996)

« Si l'attachement [de Daniel Barenboïm] au maître de Saint-Floriant ne fait aucun doute, comme il le rappelle lui-même dans l'intéressant entretien qui accompagne cette nouvelle 8e, je ne crois pas que ces deux nouveaux disques [avec la 6e] représentent ses contributions les plus convaincantes à la discographie brucknérienne. [...] De façon significative, l'idée développée par Barenboïm qu'il faut conclure abruptement et plutôt rapidement les grandes codas ne me semble pas illustré ici de façon très convaincante. » (Jean-Claude Hulot, Diapason n° 423 p. 90 - février 1996)

van Beinum, ø Concert 21 avril 1955 O. Concertgebouw - [Origine : Bande Radio - inédite]
[Vers. 1887/90 Robert Haas, 1935]

Van Beinum, 1955  (Philips 442 730-2)

van Beinum, ø Amsterdam, 6-9 juin 1955 O. Concertgebouw - Philips 442 730-2 / 464 950-2 [Epic SC 6011 - LP]
Durées : I. 14'05 - II. 13'56 - II. 23'23 - IV. 20'47 = 1 h 12'28 [Vers. 1887/90 Robert Haas, 1935]
9/5 Rép. n° 88 / 5Y Diap. n° 423 / 4* Monde n° 196

« Les lectures de Beinum frappent par leur lucidité, élevant l'objectivité au rang de canon esthétique. La démarche, scrutatrice, apparaît davantage orientée vers l'exploration minutieuse des plus infimes secrets des partitions que vers la restitution de leur contenu émotionnel. Ce Bruckner-ci a beaucoup plus les pied sur terre que la tête dans les nuages : point de métaphysique, mais d'éminentes qualités d'assise, de densité, de rusticité, éliminant tout effet facile, comme toute tentation de virtuosité, de sensualité, tout vertige ontologique (c'est à cet égard l'anti Giulini, Bernstein, Furtwängler, Karajan), au profit d'un équilibre, rarissime dans cette musique, entre grandeur et humilité. L'approche, marquée par une radicale sévérité d'accent, privilégie clérté, rapidité, tranchant, nervosité, pour exalter un dynamisme constant, un élan, une avancée qui se nourrissent d'un survoltage permanent du mouvement, qui devient la composante principale d'un discours préservant, avec une implacable logique et une maîtrise architecturale transcendante, l'évidence des liens structurels à travers le galbe et la projection horizontale de la courbe mélodique. Bruckner échappe ici à tout statisme pour acquérir une motricité presque géométrique, une respiration d'une étonnante souplesse, fondée sur la constante tension dialectique organicité et rigueur. Peu fidèle aux indications textuelles de Bruckner, le tempo fluctue constamment, au gré de subtiles pulsations émotionnelles, recréant totalement l'agogique, sans toutefois jamais menacer la façade ou l'évidence structurelle. Partout on admire la beauté de l'orchestre, mobile, ductile, lumineux (ici, point de place pour les ténèbres, le clair-obscrure mystique), avec des basses d'une constante motricité, et des pupitres de cuivres, très favorisés, d'une clarté, d'une incisivité (les trompettes !) et d'une sécurité exceptionnels. Cela nous vaut une Huitième (édition Haas, donc idéale) d'une urgence vitale extraordinaire, infiniment plus jubilatoire et solaire qu'à l'ordinaire (Beinum semble lui nier toute dimension tragique, ce qui ne laisse pas d'apparaître un peu réducteur), avec un premier temps d'une flamme inégalée, un scherzo d'une fraîcheur inouïe, d'un enthousiasme idylique tout à fait inédit (et quelle justesse dans ce tempo très rapide !), avec un brio d'une rusticité ombrée, d'une ferveur bouleversante. L' « Adagio », très exactement nicht schleppend, subtitue à l'ataraxie métaphysique habituelle, un lyrisme passionné, radieux, à peine nuancé de teintes mélancoliques, innervé par une fébrilité constamment sous-jacente (écoutez l' « Anschwellung » de la figure de doublescroches qui propulse le mouvement vers son sommet à partir de 13'27 - mes. 185), chef-d'œuvre d'humanité, d'élévation, de tendresse simple. Le finale, rigouresement inégalé, se nourrit d'un influx titanesque, d'une ferveure radieuse, culminant dans l'extraordinaire péroraison, dramatiquement extirpée des limbes par d'incroyables coups de boutoir (à partir de 18'41). » (Pascal Brissaud, Répertoire n° 88 p. 33 - février 1996)

« La 8e est l'une des plus survoltées de toute la discographie, avec la version viennoise de Schuricht. Les tempos sont d'une formidable urgence, l'équilibre sonore, avec des timbales très présentes et des cuivres très différenciés, bien spécifique, et la tension cinglante d'un bout à l'autre de l'immence partition. On peut préférer des lectures plus contemplatives, mais dans l'optique choisie par Van Beinum, cette interprétation d'un radicalisme extrême ne peut manquer d'impressionner. » (Jean-Claude Hulot, Diapason n° 423 p. 90 - février 1996)

« Sobre, ascétique même et d'une extraordinaire homogénéité de style, Eduard van Beinum (1901-1959) enregistré il y a quarante ans trouvait naturellement la respiration exacte, l'équilibre architectonique et la dynamique correspondant aux plandeur de l'écriture [...]. Son style âpre parfois d'une incroyable violence mais débarrassé de toute emphase et de la moindre lourdeurd'accent, joue pleinement en faveur de l'esence arganique du discours (il faut écouter par exemple les phrasés, la respiration, l'architecture, les transitions lumineuses et les gradations dynamiques du finale de la Huitième). Très rapide, [elle] est magnifique, quoique d'une exceptionnelle austérité. La comparaison avec quelques sommets de la discographie [...] est révélatrice de ce que peut apporter l'éclairage puissamment originale et fidèle de Van Beinum. » (P. Szersnovicz, Monde de la Musique n° 196 p. 76 - février 1996)

Sur le chef, on consultera le site très complet dédié aux personnalités musicales hollandaises.

Eduard van Beinum (1901-1959) Photographie de Remmelt van Heerde
Eduard van Beinum (Photographie de Remmelt van Heerde)

Böhm [1], ø Concert 27 novembre 1969 Orchestre Philharmonique de Berlin - Sardana CDR 217

Boehm, 1971 (Originals 817)

Böhm [2], ø Concert Munich, 1971 OS. Radio Bavaroise - Originals SH 817 / IMD KB 405
Durées : I. 13'40 - II. 13'10 - III. 24'29 - IV. 20'37 = 1 h 11'56 [Vers. 1890, révision de Josef Schalk Ed. Nowak, 1955 - coupures dans le finale]

Böhm [3], ø Concert 26 mai 1974 Philharmonique de Vienne - Sardana SACD 174/5

Boehm, 1977 (DG 2709 068 - LP)Boehm, 1976 (DG "double" 463 550-2)

Böhm [4], ø Vienne, Musikverein, février 1976 Philharmonique de Vienne - DG "Double" 463 550-2 (+7e) / 463 081-2 [2709 068 (+7e) - LP]
Durées : I. 14'51 - II. 14'23 - III. 27'47 - IV. 23'00 = 1 h 20' [Vers. 1890, révision de Josef Schalk Ed. Nowak, 1955 - avec un passage de la version Haas dans le finale]
9 Rép. n° 132 / 4Y Diap. n° 219 / Choc Monde

« Böhm possède sa vision propre, faite d'acuité rythmique, de véhémence fiévreuse sur les dynamique et surtout de transparence polyphonique optimale, dans les tempos idéalement dosés. Le grand chef autrichien, l'anti-Célibidache par excellence, avance ici avec une fermeté inflexible dans la mise en place de l'architecture, une tension constante sur chaque ligne mélodique, avec une âpreté harmonique brûlante, une hargne tragique sur les contrastes et un sens des ruptures et des climax d'une intensité tellurique (I. de 13' à 13'50 par exemple, où timbales et trompettes propulsent un cataclisme fatal). L'adagio, loin de certaines cérémonies mystiques parfois douteuses et sans aucune concession à la sentimentalité du rubato, est un exemple sublime de progression dramatique. Le finale est lui aussi poignant d'intensité, avec une sorte de rage contenue qui finit par exploser dans des fanfares impitoyables. » (Jean-Marie Brohm, Répertoire n° 132 p. 41 - février 2000)

« Boehm trouve le chemin de l'œuvre dans une vision somptueuse et retenue - quant aux tempi - qui fait aussi bien la part de la gloire sonore que de la tension ou du chant ténu. Et, bien entendu, le sentiment intérieur et « l'esprti de prière » sont saufs tout au long de ce monument symphonique pour culminer dans l'extase d'un Adagio conçu, au-delà de la confession individualiste, comme un acte de foi tissé des certitudes du compositeur. Boehm se contantant (et c'est déjà beaucoup) de reconduire, de « relayer » le message, sans jamais intervenir par quelque touche ou inflexion personnelle dans le cheminement de l'hymne mystique. » (Roger Tellart, Diapason n° 219 p. 55 - juillet 1977)

Boehm, 1978 (Palexa CD-0522)

Böhm [5], ø Concert Zürich, 4 juillet 1978 O. Tonhalle Zurich - Palexa CD-0522 (p) 2001
Durées : I. 13'54 - II. 13'20 - III. 24'41 - IV. 20'09 = 1 h 12' [Vers. 1890, révision de Josef Schalk Ed. Nowak, 1955 - contrairement a ce qu'indique le disque]
10 Rép. n° 147 / Diap. d'or n° 483 / Choc Monde n° 255 / Recommandé Classica n° 33

« Böhm à la Tonhalle développe une vision active, qui relance sans cesse les phrases dans des tempos mordants, impatients presque (cf. le Finale), avec une gestion inouïe des flux et surtout des climax qui articulent le discours (celui de l'Adagio vous clouera sur place...). C'est aussi inéluctable que Boulez-Vienne, mais en plus humain, plus vibran et beacoup plus risqué. Bref, c'est un incontournable pour tous les brucknérien, dans un son, rappelons le, digne d'un enregistrement studio. » (Ch. Huss, Répertoire n° 147 p. 40 - juin 2001)

« Sa vision véritablement incandescente transfigure l'Orchestre de la Tonhalle, l'obligeant sans le rendre parfait à un dépassement collectif de soi dont l'intensité physique palpable est l'un des chocs que procure l'écoute. L'architecture d'ensemble se déduit du moindre phrasé, du moindre accent - comme toujours chez Böhm d'une précision naturelle, ni démonstrative, ni figée - et s'étend en cercle concentriques de la première à la dernière mesure. [...] Le tempo est très soutenu, les mouvements sont caractérisés avec une fermeté prappante, la conduite du discours est de bout en bout incoercitible (Scherzo, Finale), et Böhm semble être l'un des seuls à concevoir l'immence Adagio comme autre chose qu'un thrène funèbre : il est très exactement, dans un geste pénétrant, intense, mais jamais grandiloquent, ce mouvement « solennel, lent mais sans traîner » que demande Bruckner. » (Rémy Louis, Diapason n° 483 p. 70 - juillet 2001)

« Böhm construit le premier mouvement selon une courbe idéale, sans lourdeur ni statisme. Avec le coucours d'un Orchestre de la Tonhalle chauffé à blanc mais qui, malgré un travail méritoire, ne peut se comparer tout à fait à Vienne, à Berlin ou au Concertgebouw, le mystère terrifiant de ce premier « Allegro moderato », le climat abrupt et tragique du scherzo et de l' « Adagio », le finale, extraordinairement tendu mais sans brutalité, imposent une vision puissante, remarquablement dynamique par son articulation. L'intensité, le tranchant qui parcourent l'architecture polyphonique lui confèrent une étonnante sensation d'évidence. » (P. Szersnovicz, Monde de la Musique n° 255 p. 80 - juin 2001)

« Dès la première minute, il se produit un miracle comme il en existe parfois au concert. L'atmosphère est électrique. Les cordes impriment un phrasé ample et frémissant, les cuivres sont ronds, chaleureux. Quelques « pizz » sont incertains, ma petite harmonie corrige sa justesse et Böhm cale aussitôt l'orchestre, le propulse dans un mouvement de plus en plus tendu... [...] L'Adagio atteint à autant d'émotion que dans la version de 197[6] avec Vienne, même si les cordes ne possèdent pas la même densité [...]. Ecoutez comment, dans cette première mesure où les cordes flottent dans le mauvais tempo, Böhm resserre brutalement leur respiration pour les emmener dans un déferlement à couper le souffle ! Certains des musiciens ont peut-être fait ici le concert de leur vie, malgré un grossier montage à trois minutes dans le finale. On pardonne tout cela car le témoignage est immence. » (Stéphane Friédérich, Classica n° 33 p. 58 - juin 2001)

Boulez, 1996 (DG 459 678-2)

Boulez, ø Concert, St Florian, Chorherrenstift, 21-22 septembre 1996 Philharmonique de Vienne - DG 459 678-2 / TDK TDBA0002 (DVD-Video)
Durées : I. 15'08 - II. 13'39 - III. 24'52 - IV. 22'19 = 1 h 16'14 [Vers. 1887/90 Haas, 1935]
Son : Ulrich Vette.
10 Rép. n° 138 & vidéo n° 146 / 4Y Diap. n° 472 / Monde n° 246 / 4 Classica n° 24

« Le choc de l'audition de cette immence 8e de Bruckner est d'autant plus grand qu'on n'imaginait pas Boulez dans ce répertoire où se sont illustrés les plus grands chefs du siècle. [...] Boulez réussit ici la quadrature du cercle : la rigueur de la construction et la beauté de l'expression, l'étan intraitable des tempos et l'extraordinaire vitalité du flux, l'étagement des plans et la fusion harmonique des timbres, la netteté de la mise en place et la fluidité et puissance du discours. Dès l'Allegro moderato on est pris par la beauté rayonnante du Philharmonique de Vienne, avec lequel manifestement Boulez a de profonde affinités. [...] Le Scherzo, l'un des plus vifs de toute la discographie, fait un contraste saisissant par la scansion affûtée des cordes, l'éclat solaire des cuivres, des trompettes surtout, à la percussivité tétanisante des timbales, dont le martèlement possède un caractère de danse sacrale à la Stravinski. [...] L'Adagio est réellement « Feierlich », sans surcharge expressive (cf. Celibidache, qui fait un sort à chaque note), sans recherche de la volupté sonore (Karajan), sans sofistication un rien ampoulée (Barenboïm, Teldec), sans cérébralité luxueuse (Solti/Vienne). L'acuité harmonique des chorals de cuivres et le fondu timbrique des cordes confèrent une hauteur de vue visionnaire à ce mouvement qui culmine dans un sommet d'une violence paroystique (19'40 à 20'07), où les trompettes possèdent un impact foudroyant, unique dans toute la discographie. Le Finale, pris dans un tempo enlevé [...], met en valeur des timbales sauvages, d'une férocité rythmique prodigieuse (5'19 à 6'). On admire aussi l'intégration parfaite des silences dans les transitions, l'inflexibilité des relances et la subtilité des crescendos ou des diminuendos, signature d'une maîtrise totale des dunamique et des volumes qui n'apparaissent jamais empesés ou alourdis, malgré leur force tellurique collossale, en particulier dans une coda d'anthologie où le grondement implacable des timbales soutient le formidable entrelacs architectural des fanfares de cuivres. » (Jean-Marie Brohm, Répertoire n° 138 p. 49 - septembre 2000)

« [Cet enregistrement] montre un Boulez plutôt respectueux de la Philharmonie, en tout cas ne bouleversant pas notre connaissance de l'œuvre. Les tempos sont modérés et équilibrés, à très peu près semblables globalement à ceux de Furtwängler avec le même orchestre par exemple [...]. L'image orchestrale est claire, même dans les moments les plus chargés, et ample, mais sans beaucoup d'humanité ; seul l'Adagio surprend légèrement par son équilibre interne, Boulez commençant plutôt vivement pour ralentir sur le grand sommet d'intensité, à la différence de ce que faisaient Furtwängler ou Jochum [...]. Boulez cependant qui avoue cependant son intérêt pour ce « labyrinthe harmonique merveilleux » et a choisit, après avoir étudié les différentes partitions l'éditions Haas, ne marque pas l'œuvre de son empreinte comme il le fit pour les 5e et surtout 6e Symphonies de Mahler [...]. » (Jean-Claude Hulot, Diapason n° 472 p. 81 - juillet 2000)

« [La lecture de Pierre Boulez,] sobre, ascétique parfois, et d'une grande homogénéité de style trouve la respiration exacte, l'équilibre architecturale et dynamique correspondant aux splendeur de l'écriture, mais ne traduit pas toujours, à cause de la sérénité péremptoire, voire distanciée, de certaines inflexions et de certains accents, le dramatisme et l'aspect tragique sur lesquels est construite l'œuvre : incontestablement, Boulez donne ici à entendre la substance de ses angoises et de ses combats intérieurs les plus insurmontables. A l'opposé de la puissance émaciée et conflictuelle de Van Beinum/Concertgebouw en 1955 [...]. Boulez offre une vision d'ensemble solide mais trop immédiate, qui vaut surtout par une clarté du jeu orchestrale imparable mais renonce presque, au-delà de gradation d'intensité, de phrasés et de tempos savament étudées, à tout discours émotif. » (P. Szersnovicz, Monde de la Musique n° 246 p. 94 - septembre 2000)

« On peut être dérouté par la massivité de la direction, mais la magie des timbres viennois, et surtout la finesse des premiers violons et des cors, sont absolument magiques. Boulez dirige cette immence fresque sonore avec un détachement évident à l'égard de la dimension spirituelle. Sa préocupation est de préserver l'architecture, de rendre le premier mouvement avec la plus parfaite homogénéité possible. Soit. Beaucoup plus convaincant est le Scherzo, d'une souplesse assez fascinante : le calme des vents (les cors sont géniaux) est étonnant cependant que l'on sent une concentration totale afin que rien ne « depasse ». L'Adagio est en revanche le mouvement le plus problématique, dans lequel l'orchestre rutilant de couleur n'arrive pas à rompre avec une objectivité statique : l'absence d'engagement de Boulez nous laisse sur notre faim et le culte du son (Dieu que c'est beau !) vide cette musique d'une partie de sa substance. Le finale, avec cette incroyable progression dans l'entrée des cordes laisse pantois. La souplesse rythmique sert admirablement le geste porté vers l'ultime crescendo final. Si vous attendez autre chose que les climats des grandes lectures passées [...], écoutez cette version vibrante d'une certaine idée de la perfection. » (Pierre Massé, Classica n° 24 p. 58 - juillet 2000)

« [A Paris, entre 1943 et 1946] l'opinion générale était à peu près celle-ci : « Oh, c'est bon pour l'Europe centrale, ça ne m'intéresse pas ». Voilà un point de vue que je trouve incompréhensible, et pour deux raisons. Premièrement, les Français ont toujours été des fanatiques de Wagner, et ils ont été profondément marqués par son langage chromatique. Deuxièmement, ils ont toujours eu, du moins depuis Debussy, une sensibilité particulière pour le langage harmonique. Je n'arrive, donc pas à comprendre pourquoi ils n'ont pas tout de suite été séduits par ce langage, par ce labyrinthe harmonique merveilleux. » (Pierre Boulez)

« Plaidoyer pour la version Haas - Lorsqu'on aborde une symphonie de Bruckner, on est aussitôt confronté au problème des différentes versions. Pierre Boulez a dû lui aussi faire son choix ; entre la version de Robert Haas et la version de Leopold Nowak de 1890, il s'est décidé pour Haas, parce que les coupures de Nowak lui semblent superflues. « Cela perturbe quelquefois la symétrie, la logique et la construction. » Entre la version Nowak de 1887 et la version Haas, il explique tout aussi clairement et simplement son choix : « Dans la première mouture de la symphonie, premier et quatrième mouvements se termine de la même manière, tandis que dans la version définitive l'épilogue du premier mouvement s'efface pianissimo. » » (Ewald Markl, livret du disque DG)


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